Annexe: Suzy Wincker

Première speakerine officielle de la Télévision Française

Cette partie est presque entièrement illustrée avec le contenu du dossier de presse que Suzy Wincker avait constitué, sauf quelques illustrations issues de la Revue Générale d’Électricité ou de La Nature. J’ai pris le parti de le présenter tel qu’il m’est parvenu, en conservant les annotations de la main de l’intéressée.

Elle est née à Vanves le 7 mars 1894. C’est une artiste de cabaret, elle débute au Moulin de la chanson, et participe aussi à des revues jusqu’en 1934. Elle est aussi chanteuse d’opérette, joue dans des pièces de théâtre. Elle tourne dans un film et présente des émissions du poste radio colonial.

On a vu plus haut que René Barthélemy, à la fin de 1932 a commencé des émissions régulières de télévision depuis un studio situé rue de Grenelle. C’est dans la revue anglaise World Radio du 12 mars 1937 (figure 15), qu’on apprend, de la bouche de Suzy, elle-même, comment elle est entrée dans le monde télévisuel naissant. Ce qui est aussi rapporté par l’hebdomadaire « VU » (figure 16)

Fig. 15. – World Radio, 12 mars 1937 Magazine Londonien. Dossier Suzy Wincker
Fig. 16. – Vu 1 septembre1937. Dossier Suzy Wincker
Fig 17

Passant début 1934 rue de Grenelle, où se trouvait comme on l’a vu, le studio 30 lignes, elle y entre, trouve l’expérience intéressante et propose ses services gratuitement. Le budget de la télévision étant « very restricted » son offre fut immédiatement acceptée.

À ce moment, les émissions se font en 30 lignes pendant 2 ans à partir de 1932, à raison d’une heure chaque jeudi. En avril 1935, on passe à la « moyenne définition » de 60 lignes, les émissions ont lieu tous les jours dans l’après-midi et quelquefois le soir (La Nature n°2968 du 1er janvier 1936, p. 1). Mais à partir du 10 novembre 1935, date d’inauguration imposée par Georges Mandel, ministre des PTT, les émissions se font en « haute définition » 180 lignes (figure 17). Ce changement de statut changea aussi, semble-t-il, celui de Suzy Wincker, qui, de speakerine bénévole, devint rémunérée. On trouvera plus loin un document qui le confirme. Cette inauguration officielle est précédée de répétition. Lorsqu’en 1961, on commémorera le 25e anniversaire de la télévision française, l’hebdomadaire de TV Télé 7 jours (14 janvier 1961) en raconte les débuts, en particulier en publiant des témoignages des deux premières présentatrices « l’officieuse » Suzanne Bridoux et l’officielle Suzy Wincker. (Figure 18)

Fig 18
Fig. 20. – L’Aurore 15 janvier 1961. Dossier Suzy Wincker

Dans L’Aurore du 15 janvier 1961, (figure 20) Suzy Wincker raconte avec plus de détails encore sa mésaventure. L’article donne d’autres informations notables.

La prise de vue est directe, mais le moteur de la caméra 180 lignes est tellement bruyant qu’il faut la placer derrière une vitre, ce qui limite fortement les possibilités de la prise de vue.

Le studio, situé dans les locaux de l’École supérieure des Postes et Télégraphes, rue de Grenelle (figure 21), est doté d’un éclairage d’une puissance totale de 45 kW, qui nécessite une importante installation de climatisation.

On a vu que le premier émetteur, placé au pilier nord de la tour Eiffel (figure 22) avait une puissance de 2,5 kW. Un nouvel émetteur, sur 8 m de longueur d’onde d’une puissance de 25 kW, est mis en service en mai 1936. Le signal est transmis à l’antenne par un feeder de 350 mètres de long, seule 50 % de la puissance de sortie de l’émetteur arrive aux doublets rayonnants.

Le son est émis toujours de la tour Eiffel par un émetteur fonctionnant sur 207 mètres

Fig. 21. –Studio situé dans les locaux de l’École supérieure des Postes et Télégraphes
Fig. 22. – –Bâtiment de la salle des machines du poste installé au pilier nord de la Tour Eiffel

René Barthélemy signale des essais de réception faits en avion pour tracer le diagramme de rayonnement horizontal de l’aérien, ceci en vue d’évaluer la portée pratique de réception. La conclusion sera que l’émetteur est à même de couvrir la région parisienne.

Fig.23. – Marianne 20 janvier 1937. Dossier Suzy Wincker
Fig. 24. – Télé 7 jours, 14 janvier 1961 reprenant un article de l’époque sans citer la source . Dossier Suzy Wincker
Fig. 25. – C’est bien d’émettre, mais il faut recevoir. Toute la Radio, Août 1936. Dossier Suzy Wincker

À cette époque, les techniciens utilisaient déjà bien sûr le terme de télévision, mais elle a failli porter le nom de RADIOVISION, comme on peut le voir sur la photo prise rue de Grenelle en juillet 1936 (figure 23). Le choix final fait l’objet d’une discussion en France et le nom de télévision a été retenu car adopté dans les pays voisins. (Figure 24).

La CdC a créé deux modèles de poste récepteur : le petit qui ne comporte que le récepteur de télévision (figure 26)., et nécessite donc un autre récepteur pour le son.

Le grand (figure 27), avec dans le même meuble, le récepteur de télévision et un récepteur de téléphonie sans fil pour l’accompagnement sonore.

Fig. 26. –Appareil récepteur de télévision de la Compagnie pour la Fabrication des Compteurs et Matériel d’Usines à Gaz, Petit modèle
Fig.27. – Appareil récepteur de télévision de la Compagnie pour la Fabrication des Compteurs et Matériel d’Usines à Gaz, Grand modèle.
Fig.28. – Lectures pour tous, juillet 1937. Dossier Suzy Wincker

Mais des ingénieurs comme Chauvière construisent des kits pour les amateurs de télévision et les mensuels d’informations générales, comme Lectures pour tous (figure 28), illustraient leurs articles avec des photos prises sur les appareils en fonctionnement réel.

René Barthélemy prend alors la responsabilité de la société Emyradio, créée pour la fabrication et la diffusion de récepteurs destinés au grand public.

Les matériels vont rapidement évoluer et le petit modèle « EMYVISOR » (figure 29) recevra bientôt et la « PHONIE et la VISION ». Les deux récepteurs (figure 30), datant de 1936, sont actuellement visible dans le conservatoire de l’ACHDR.

Fig. 29. – Télé 7 jours 14 janvier 1961. Dossier Suzy Wincker
Fig. 30. – deux modèles de téléviseur 1936 Coll. ACHDR. Photos ACHDR


1937, c’est aussi l’année de l’Exposition universelle de Paris, et les PTT y auront un stand, dans lequel la télévision française est présentée (figure 31). Un studio est installé au Pavillon de la Radio, mais la CdC ne le fournira pas. Elle a été évincée au profit de L M T (« Le matériel Télégraphique ») qui, fournit un émetteur 450 lignes tout électronique.

Fig. 31. –.Photo originale. Dossier Suzy Wincker

Les émissions se poursuivent et se poursuivront en 180 lignes jusqu’au 10 avril 1938. Les équipements sont alors démontés et ensuite remontés pour des démonstrations en dehors de Paris, comme à Limoges ou Lille. En effet, la télévision mécanique a atteint ses limites, le tout électronique est là, avec l’émetteur de l’Exposition, qui sera remplacé le 25 décembre 1938, par un nouvel émetteur 455 lignes. Mais, nous voici en 1939 et le cours de l’histoire va brutalement changer. La tour Eiffel cesse ses émissions dès septembre, les installations de Lille et de  Lyon qui avaient été prévues au budget 1939 sont suspendues.

Quant à Suzy, elle continue sa tâche même si les temps sont durs ! (Figure 32 et 33)

Fig. 32 Photo originale. Dossier Suzy Wincker

Elle est la première speakerine officielle, suivie de nombreuses autres, dont les plus célèbres sont Jacqueline Joubert dès 1949, Catherine Langeais, Jacqueline Huet, Jacqueline Caurat, Anne Marie Peysson, Denise Fabre et bien d’autres.

Le téléspectateur d’aujourd’hui, lisant ces quelques lignes ne pourra s’empêcher de sourire, lui qui, a même le choix (grâce au replay) dans la date, pour regarder telle ou telle séquence. Mais il a fallu en passer par là. Quant aux techniciens d’aujourd’hui, selon le mot de Bernard de Chartres, qu’ils se souviennent que s’ils voient loin, ce n’est pas à cause de la perspicacité de leur vue, c’est qu’ils sont assis sur des épaules de géants.